Bonjour à toutes et à tous,
Bienvenue dans ce numéro 3 de Gendercover. Cette semaine, je fais une pause dans l’histoire de la prétendue “théorie du genre”.
Parce que je vous ai promis que je partagerai ici aussi des initiatives féministes inspirantes, place à un nouveau format. Dans “Le souvenir militant de…”, des activistes féministes reviendront sur un de leurs faits d’armes les plus marquants : une mobilisation qui a particulièrement marché, un événement qui a eu un fort écho médiatique et/ou politique, un souvenir particulièrement joyeux ou fondateur…
Alors que le 25 novembre dernier avaient lieu, comme chaque année partout en France, des marches contre les violences faites aux femmes et minorités de genre, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, j’ai eu envie de consacrer cette première interview à celle qui en a été la principale initiatrice.
Au sommaire de ce numéro #3 :
Le souvenir militant de... Caroline De Haas
Veille actu
Baromètre des droits en Europe
Mes recos (garanties 100% “woke”)
📢 Le souvenir militant de Caroline De Haas
Militante féministe de longue date, Caroline De Haas a notamment fondé Osez le féminisme, ou encore le site Les Expertes, premier annuaire numérique gratuit recensant les femmes expertes francophones pour pallier leur invisibilité dans les médias. Depuis 2013, elle codirige Egaé, une agence de conseil en égalité professionnelle. Elle est aussi à l’initiative du collectif #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles. C’est pourquoi j’ai voulu lui consacrer cette première interview.
Quel est ton meilleur souvenir d'activisme ?
Il y a les meilleurs souvenirs de réussite militante et les souvenirs d'émotion. Si je dois penser au moment le plus émouvant pour moi, c'est la marche #NousToutes de 2018, donc la première, qui a cartonné. Je me baladais dans la manif, et là j’aperçois ma meilleure amie, qui a été victime de violences comme beaucoup de femmes dans ce pays. Elle avait tout suivi, mes doutes, mon stress… et quand on s’est vues on s’est dit qu’on avait réussi.
Je me souviens aussi de la marche #NousToutes de 2019, du camion qui passe sur la place de la République remplie, avec Beyoncé à fond. En fait, mes meilleurs souvenirs d’activisme, c'est les marches. Parce qu'il y a un truc qui se passe dans les marches #NousToutes à l'époque. On voyait des dames âgées assises qui regardaient passer la manif. Une m’a dit un jour “c'est le plus beau jour de ma vie”, une autre a pleuré. C'était incroyable. Un truc de prise de pouvoir, d’espérance, de colère. En gros, quand j'ai un coup de mou, je me remets Beyoncé.
Comment as-tu eu l’idée de créer #NousToutes ?
Ça s'est fait en plusieurs temps. En gros, Macron arrive au pouvoir en mai 2017, en juin il y a le budget rectificatif et il baisse le budget des droits des femmes. À ce moment-là je suis candidate aux législatives, je perds et j'arrête de militer. Puis arrive #MeToo, donc changement de programme. Je vais voir Change.org, où j'avais lancé une pétition contre la loi travail et je propose de faire une réunion avec les meufs qui ont lancé d’autres pétitions contre les violences. En 2017, on réunit cinq personnes, dont Madeline Da Silva, qui avait lancé une pétition suite au procès de Pontoise. On fait une action autour du 25 novembre. Macron n'annonce rien, c’est la grosse déception. Je bascule dans ma stratégie militante, en disant qu’il faut interpeller les pouvoirs publics, que ce gouvernement ne nous donnera rien. Donc on crée le Groupe F, avec l’objectif de former contre les violences. On a un débat. Selon moi, il faut appuyer sur la colère pour faire agir les gens. Je suis minoritaire. Donc on choisit un angle positif, en affirmant qu’on peut faire changer les violences. En mai 2018, on déjeune avec Madeline Da Silva et on se dit que ça ne marche pas. Il faut mettre 100.000 personnes dans la rue, ils l'ont fait dans d'autres pays, il n'y a pas de raison qu'on n’y arrive pas. L’objectif est fixé au 25 novembre.
Là je me dis qu’il faut qu'on crée un levier d'engagement et d'action qui touche tout le monde dans les tripes : on n'en peut plus des violences, arrêtez. Un truc basique qui permet d'aller aussi toucher les cousin·es, les belles soeurs des militantes. Avec l’objectif d'être minimaliste, un point commun qui est le plus large possible : on veut en finir avec les VSS (violences sexistes et sexuelles). Ce qui fera l’objet de critiques en disant que c'est trop mainstream.
Le groupe F n'existait plus, il n'y avait que Madeline avec moi, et je suis allée voir les assos féministes pour leur dire : j’ai cette idée, je vais le faire, vous voulez en être ou pas ? On a fait une réunion avec les assos, et une AG (assemblée générale) à la Bourse du travail. J'y suis allée par étapes. Début juillet, on se fixe comme objectif de rassembler 1000 personnes pour organiser une manif. Si ça ne marche pas, on arrête. Et pour la première manif on devait être 50.000 à Paris. Je suis intimement convaincue qu'il y a eu du monde parce qu'on a eu une stratégie mainstream, grand public, avec un mot d'ordre minimaliste. Pour moi, l’objectif c'était la masse.
Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées ?
Il n'y a pas eu de difficultés majeures. Le truc le plus touchy à gérer, ça a été #NousAussi (face à une ligne politique justement perçue comme trop généraliste, plusieurs collectifs et associations ont appelé à mettre au centre de cette marche “celles qui sont au premier rang de ces violences”, parmi lesquelles les personnes racisées, les femmes lesbiennes ou trans, ou encore les travailleuses du sexe, NDA).
À #NousToutes, il y en avait qui disaient : elles font un texte contre nous, alors que pas du tout. Moi j'étais au milieu de ça avec les autres associations. Et en fait, #NousAussi s’est retrouvé devant. Donc les autres assos étaient vénères. Et le jour J, elles faisaient exprès de ne pas démarrer pour grossir leur cortège. Donc je les ai pressées à partir. Au début elles étaient 300, à force elles étaient 2000 ! Mais finalement, elles sont quand même venues à la manif, donc pour moi c'était une grosse victoire. Même s’il y a eu des galères, je ne garde que des bons souvenirs.
Pourquoi ça a fonctionné selon toi ?
Parce qu'on avait identifié le levier qui pouvait faire bouger les gens. En fait, il y a un truc qui a été intéressant dans ma vie personnelle, militante. J’ai assisté il y a 15 ans à une conférence d'un mec qui avait participé à la campagne d'Obama “Yes we can”. On avait eu une discussion sur comment naît un slogan qui marche. Le type a expliqué que “Yes we can” était le produit de centaines d'heures sur le terrain pour comprendre ce qui va faire que les gens vont se lever et avoir de l'espoir. Ça m'a vachement marquée. À l’époque, je savais : c’était Merde les violences et #NousToutes, on est toutes concernées. Et après, pour ce qui concerne la technique militante avec les questionnaires, les visuels, je sais mettre des personnes en mouvement. Les gens ont beaucoup parlé des réseaux sociaux, mais dans le mois qui précède la manif, il y a des milliers de tracts distribués partout en France. Les gens qui diffusent en parlent autour d'eux et viennent avec d’autres personnes. L’alliance du terrain et des réseaux sociaux a permis que ce soit une réussite.
On était quand même dans une période particulière. Je pense que j'ai senti dans quel moment on était et quel était le levier qui pouvait faire bouger la société. Et c’est pour ça que j'ai arrêté. Aujourd’hui, je ne suis plus capable de savoir ce qui peut faire bouger les gens.
🥸 La veille actu
Le 17 novembre, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (Ciivise) a publié les conclusions de ses 30 mois de travaux, durant lesquels elle a recueilli près de 30.000 témoignages. Parmi ses 82 préconisations : rendre imprescriptibles les viols et agressions sexuelles sur des enfants. Alors qu’un flou persiste sur l’avenir de la commission, la secrétaire d’État à l’enfance Charlotte Caubel a finalement assuré son maintien, “avec une nouvelle feuille de route”. En attendant, il lui reste à éplucher les 756 pages de ce rapport indispensable, pour que la promesse historique de notre chef de l’État - “On vous croit et vous ne serez plus jamais seules” - ne se cantonne pas à un effet d’annonce de plus.
“C’est Emmanuel Macron qui a arbitré et décidé que la France ne souhaitait pas une définition européenne du viol assise sur la notion de consentement.” Une source européenne citée par Le Monde, nous rappelle à quel point le président de la République tient sa promesse de faire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelle la “Grande cause (toujours) du quinquennat” (non). Alors qu’une directive de la Commission européenne sur les violences faites aux femmes prévoit de caractériser le viol par l’absence de consentement, la France fait partie des États membres s’opposant à toute définition européenne du viol, avec… la Pologne, ou encore la Hongrie.
244.000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées par les forces de sécurité en 2022, soit une hausse de 15% par rapport à 2021. Les victimes sont des femmes à 87% et les mis en cause des hommes à 89%.
L’Ajar, association des journalistes antiracistes et racisé•es, dénonce un “double standard” dans le traitement médiatique de la guerre qui oppose Israël au Hamas. “Reprise des éléments de langage de l’armée israélienne sans mise à distance, déshumanisation des Palestinien·nes, demandes de condamnations asymétriques, effacement du contexte, sans oublier le racisme dans les rédactions” : cette couverture constitue un cas d’école de sa raison d’être, explique l’Ajar, qui réalise un travail énorme depuis sa création.
Deuxième ville la plus peuplée de France, Marseille ne disposait jusqu’alors toujours pas de centre LGBTQIA+. Cette lacune impardonnable est réparée : après plus d’un an de travaux, le centre ouvre enfin. Ami·es marseillais·es, à vos agendas : son inauguration aura lieu le 9 décembre à partir de 18h30, 21 rue du Chevalier Roze.
Je vous parlais dans le précédent numéro d’une proposition de loi portant sur la "réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982". Fin du suspens : le Sénat, qui a examiné le texte le 22 novembre, reconnaît la responsabilité de l'Etat français dans les "souffrances" et "traumatismes" subis par les homosexuels condamnés de manière discriminatoire… tout en vidant le projet de sa substance. Les sénateurs ont complètement mis sous le tapis le régime de Vichy, en ne prenant en compte que les années 1945 à 1982. L'article 2, visant à punir toute négation de l’existence de la déportation de personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale, a été rejeté. Même sort pour l'article 3, prévoyant des réparations financières pour les personnes discriminées, ainsi que pour l’article 4, qui instaurait la création d'une "commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation". Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet article de David Perrotin pour Mediapart.
Le Réseau francophone de recherche sur l'intersexuation (RéFRI) et le collectif Intersexe activiste – OII France (CIA-OII France) lancent une enquête qui vise à recueillir des données sur la santé des personnes intersexes ou ayant des variations du développement sexuel en France. Vous pouvez y participer et/ou la partager via ce lien, jusqu’au 31 décembre 2023.
👩🏻⚖️ Baromètre des droits
⬆️ 🇪🇸 - Malgré une ascension fulgurante du parti d’extrême droite Vox lors des dernières élections législatives, la remontada des partis de gauche se confirme en Espagne. Après avoir finalement réussi à obtenir la majorité absolue des députés, qui était loin d’être gagnée, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez été reconduit le 16 novembre pour un mandat de quatre ans. Il a présenté son nouveau gouvernement composé de 22 ministres, dont 12 femmes.
⬇️ 🇳🇱 - La formation d’extrême droite le Parti de la Liberté, de Geert Wilders, est arrivée en tête lors les élections législatives qui se sont tenues aux Pays-Bas le 22 novembre. En obtenant 37 sièges sur les 150 que compte la chambre basse du Parlement, le parti islamophobe a réalisé un score jamais atteint auparavant. Il lui reste néanmoins à former une coalition gouvernementale, ce qui s’annonce très compliqué.
⬇️ 🇦🇷 - Ce n’est pas en Europe, mais impossible de ne pas mentionner ici Javier Milei, élu président de l’Argentine le 18 novembre. Profondément populiste, anti-féministe, ultra-libéral, il représente un réel danger pour les droits des femmes et des personnes LGBT+. Il a notamment promis d'abroger la loi légalisant l'avortement, de supprimer le ministère des Femmes, ou encore les cours d’éducation sexuelle.
💡 Mes recos (garanties 100% “woke”)
🎭 - Si vous ouvrez cette newsletter à temps et que vous êtes en région parisienne et qu’il reste des places (ça fait beaucoup de si mais ça en vaut la peine), il vous restera trois jours pour aller voir Ceci est mon corps au Théâtre 13 / Bibliothèque. Une pièce féministe d’Agathe Charnet d’une grande force, portée par une écriture ciselée et toujours impactante, et un duo de comédiennes époustouflantes - Lillah Vial et Virgile L. Leclerc, que j’avais eu l’occasion d’interviewer pour Libération. Je ne serai pas à Paris ce samedi 2 décembre, mais si j’étais vous j’en profiterais pour aller à la “queer boum” prévue pour la dernière représentation au Théâtre 13. Pour les retardataires, la compagnie La Vie Grande passera par la suite à Chollet, Rennes ou encore Gonfreville. Vous retrouverez les dates ici. Vous pouvez aussi acheter le texte dont est issue la pièce (L’Oeil du prince, 2022). “Une déflagration”, nous dit l’autrice Pauline Delabroy-Allard, dont je peux que partager les mots.
📕 - C’est un livre qui bouscule, car non consensuel. Un livre dont je ne partage pas la totalité des constats, mais courageux car il a le mérite d’adresser des problématiques trop souvent tues dans nos milieux. Dans Faire justice, Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes (La Fabrique, 2023), Elsa Deck Marsault, cofondatrice du collectif queer et féministe Fracas, questionne le recours à la justice punitive dans les conflits militants. Elle interroge surtout le puritanisme politique souvent à l’oeuvre dans les groupes féministes, et qui a tendance à nous diviser. Une réflexion salutaire, qui incite à l’introspection, à la remise en question, à la bienveillance, sur laquelle je reviendrai sans doute un jour.
Ma dernière publication :
L’Observatoire de la Petite Sirène, organisation vivement critiquée par les associations de défense des personnes trans, s’est vu remettre un prix par l’Académie des sciences morales et politiques. Une récompense et des conditions d’attribution qui interrogent à plusieurs titres. A lire sur Mediapart.
Un grand merci d’avoir lu ce troisième numéro ! On se retrouve dans deux semaines pour un quatrième Gendercover.
D’ici là, si vous avez une information à faire passer, un commentaire, une envie à partager, n’hésitez pas à m’écrire à newsletter.gendercover@gmail.com
Prenez soin de vous et à bientôt ! 🌈