Quand les minorités servent de marche-pied politique
#5 - Quelle meilleure couverture progressiste qu'un Premier ministre gay ?
Bonjour à toutes et à tous,
J’avais prévu pour ce numéro un tout autre sujet (quoi que très lié), mais l’actualité récente s’est imposée à moi. Difficile de rester muette face à la nomination, dans le même temps, d’un Premier ministre pour la première fois ouvertement gay, et d’un gouvernement dont l’homophobie est presque inégalée.
Alors entrons ensemble gaiement dans cette année 2024 durant laquelle nous allons devoir enfiler nos plus beaux cirés jaunes et gilets pare-balles. Je vous la souhaite pleine de paillettes, de courage politique, de serrage de coudes et d’auriculaires, de luttes victorieuses, et de chatons mignons (parce qu’on va en avoir bien besoin).
Au sommaire de ce numéro #5 :
Les minorités, boucliers utiles du macronisme
La veille actu
Mes recos (garanties 100% “woke”)
Les minorités, boucliers utiles du macronisme
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur la nomination de Gabriel Attal, premier Premier ministre ouvertement gay. Je veux d’abord rappeler que cette vérité n’est ni un gage de courage politique, ni un blanc-seing pour les droits des personnes LGBT+. Out, il ne l’a été que parce qu’affiché par Juan Branco malgré lui, en 2018. Assumé, il ne l’est devenu que parce que contraint au fil des années. Militant et pro-actif sur ces sujets, il ne le sera sûrement jamais. Du moins, certainement pas au cours de ce mandat qui propulse à des postes clés des ministres, eux, LGBTphobes assumés.
« Je ne veux pas cacher que je suis gay, avait répondu par SMS Gabriel Attal à Mediapart en 2017. En revanche, je ne veux pas être dans la revendication, ou donner le sentiment que je deviens député pour défendre la cause gay. »
L’homme politique avait refusé d’accorder une interview à ce sujet. Il a été “outé” un an après. Gabriel Attal fait ainsi partie de ces très nombreuses personnes LGBT+ ne voulant pas être étiquetées comme telles, et se fondant à merveille dans le moule hétéronormé, vêtues de leurs plus beaux costumes d’appartenance à une classe sociale dominante, et ne faisant pas de leur sexualité ou genre une composante déterminante de leur identité, encore moins de leurs engagements. C’est à ces conditions seulement qu’un homme gay, si possible pas trop efféminé, bourgeois et bien sûr blanc, peut accéder à des postes de premier plan. “Tant que l’homosexualité n’est pas « militante », elle est acceptable”, résume très justement Mathieu Magnaudeix sur Mediapart.
Certes, la nomination d’un Premier ministre gay est historique. Cela n’aurait sans doute pas pu se produire il y a 10 ans et dit quelque chose de l’acceptation d’une certaine forme d’homosexualité dans notre société. On pourrait s’en réjouir. Tout comme on aurait pu se réjouir de la nomination d’une femme Première ministre, Elisabeth Borne, 30 ans après Edith Cresson, qui avait été jusqu’alors la seule à occuper cette fonction. On aurait pu se réjouir de la nomination d’autres femmes, d’autres minorités, à des postes clés. De celle de Myriam El Khomri, franco-marocaine, au ministère du Travail en 2015. D’Olivier Dussopt, gay, à ce même poste en 2022. Seulement, tous et toutes ont un point commun : ils et elles ont servi de boucliers lorsqu’il s’agissait de défendre des mesures impopulaires - est-ce un hasard si Dussopt a fait son coming-out dans Têtu juste après l’adoption de la réforme des retraites par un énième 49.3 ?
Ou pour citer Léane Alestra et Appoline Bazin dans Manifesto.XXI :
“De la même façon qu’Elisabeth Borne fût un exemple parfait de falaise de verre – utiliser une femme en premier plan pour gérer une crise, puis la virer – l’usage des minorités en politique n’est bienvenue que lorsqu’il sert les intérêts majoritaires.”
Je ne plains pas tous ces politiques, loin de là. Certain·es l’ont fait de bon coeur, avec une bonne dose de masochisme. A commencer par Elisabeth Borne, qui avait, selon Le Monde, incité Macron à l’”essorer” jusqu’au bout. Mais il s’agit de se demander : par qui, pourquoi, dans quel but, des minorités sont-elles nommées à des postes à responsabilité, que cachent ces promotions et qui en profite ?
Pour celle de Gabriel Attal, la réponse est toute trouvée : sous couvert de nommer un Premier ministre gay, Emmanuel Macron peut opérer le plus important virage réactionnaire de ses mandats. Lui, populiste, anti-féministe, homophobe et d’extrême-droite ? Mais c’est impossible voyons : il a nommé un Premier ministre homosexuel !
Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour en avoir la confirmation avec la nomination du nouveau gouvernement, qui fait la part-belle aux figures de droite et homophobes. Au ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités (rien que ça… mais c’est un autre sujet) ? Catherine Vautrin, qui a voté contre le mariage pour toutes et tous en 2013 et l’a même revendiqué dans la rue, dans les rangs de la “Manif pour tous”. Au ministère de la Transition écologique ? Toujours Christophe Béchu, qui a également voté contre le mariage entre personnes de même sexe en 2013 - et toujours 10e dans l'ordre protocolaire des ministres, ce qui en dit long sur les priorités du chef de l’Etat alors que notre planète se noie et prend feu. A l’Intérieur ? Toujours Gérald Darmanin, qui avait aussi voté contre la loi de 2013 et aussi participé à la “Manif pour tous”. Au ministère de l’Egalité et de lutte contre les discriminations ? Le meilleur pour la fin : Aurore Bergé, qui avait reçu en 2022, en tant que députée Renaissance, les militantes anti-trans Marguerite Stern et Dora Moutot, et qui voulait la même année exclure les personnes trans de la constitutionnalisation de l’IVG. Elle succède par ailleurs à celle qui détiendra le record du plus court mandat à ce poste sous la présidence Macron et au-delà, Bérangère Couillard, qui a été ministre déléguée chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes pendant à peine six mois. Là aussi, ça en dit long sur la “grande cause nationale” du quinquennat.
En résumé : le premier gouvernement d’un Premier ministre ouvertement gay est bien plus LGBTphobe que le précédent. Un véritable tapis rouge pour les “anti-genre”. Et sa ligne politique, dans la droite lignée de la loi immigration, est on ne peut plus claire. “Votre mission est d’éviter le grand effacement de la France face au défi d’un monde en proie au tumulte”, a lancé Emmanuel Macron à ses ministres lors de leur première réunion (Europe 1). Comment ne pas y voir là un énième détournement des éléments de langage de l’extrême droite - après la “décivilisation”, le fumeux “grand remplacement” ? Les premiers mots de Gabriel Attal sur “X” après sa nomination ne disent pas autre chose : “Un cap : garder le contrôle de notre destin, libérer le potentiel français et réarmer notre pays. Au travail, avec force, humilité et sans tabou au service des Français”.
Pour reprendre les mots de l’autrice et sociologue Kaoutar Harchi :
“Les politiques de la représentation ont à ce jour mené à la promotion de femmes anti-féministes et de personnes racisées défendant des programmes racistes. Il faut partir des idées, non des individus, quelles que soient leurs propriétés sociales.”
Si je me réjouis qu’une jeune ado gay ait pu se dire, ce mardi 9 janvier 2024, devant sa télé, qu’il pourrait lui aussi devenir un jour Premier ministre s’il le voulait, je tiens à l’alerter sur ses ambitions : n’oublie pas qui tu es, d’où tu viens, ne te laisse pas instrumentaliser, ne pense jamais que des politiques réactionnaires serviront tes intérêts. Ne deviens pas, comme Gabriel Attal et Elisabeth Borne, les idiots utiles d’un président en mal de popularité, les boucliers progressistes d’un pouvoir réactionnaire qui marche sur les plates-bandes de l’extrême droite, les fusibles de la dernière chance du macronisme.
Ne les laisse pas te griller. Ne les laisse pas cramer ton intégrité, tes valeurs, tes engagements. Accroche-toi à cette ambition si, et seulement si, c’est pour tout faire exploser.
🥸 La veille actu
Au sujet de la nomination de Gabriel Attal, je vous renvoie vers les publications citées plus haut et le thread de ma consoeur Camille Regache.
Aux Pays-Bas, après la victoire aux dernières législatives du PVV, le parti nationaliste d’extrême droite de Geert Wilders, qui a réclamé la fermeture des mosquées ou l’interdiction du Coran, certains musulmans ont décidé de quitter le pays et témoignent d’une islamophobie décomplexée. Par Zeina Kovacs sur Mediapart.
Dans le prolongement de l’affaire Depardieu, cette tribune de l’autrice et réalisatrice Iris Brey pour Le Monde résume très bien comment le cinéma contribue à banaliser la culture du viol.
Je vous parlais dans le précédent numéro de l’éviction de la journaliste Barbara Olivier-Zandronis de la chaîne RCI Guadeloupe suite à une interview jugée trop “musclée” (entendre : préparée et professionnelle) du président du RN Jordan Bardella. Cette dernière ne reviendra pas à la présentation du journal “suite à un désaccord persistant concernant la forme et le fond de cette interview”.
Le magazine de l'Union démocratique bretonne (UDB), Le Peuple breton, a subi un déferlement de haine et de harcèlement raciste pour avoir affiché un enfant métis en une du numéro célébrant ses 60 bougies. L’occasion de (re)lire Comment peut-on être Breton ? de Morvan Lebesque (qui vous rappellera peut-être une chanson des Tri Yann) :
"La Bretagne n'a pas de papiers. Elle n’existe que dans la mesure où, à chaque génération, des hommes se reconnaissent bretons. A cette heure, des enfants naissent en Bretagne. Seront-ils bretons ? Nul ne le sait. A chacun, l'âge venu, la découverte ou l'ignorance."
Pour commander ce numéro historique, c’est par ici.
Sur une note un peu plus légère (quoi que) : j’espère que vous avez fait le plein de paillettes au Nouvel an car elles sont en voie d’être interdites par l’Union européenne, prévient Le Monde. Toutefois, “les particules ne contenant pas de plastique, biodégradables et d’origine naturelle ne sont pas concernées par l’interdiction”. Ouf.
💡 Mes recos (garanties 100% “woke”)
📽️ - Le premier numéro des Docs de la grande librairie est consacré à Virginia Woolf. Ses amours lesbiennes n’y sont pas éludées, même si le mot n’est pas prononcé, et son visionnage m’a fait verser une petite larme. A regarder en replay sur le site et l’appli de France TV (réalisé par Catherine Aventurier).
📕 - Un trésor à parcourir aux éditions Libertalia : Une belle grève de femmes de la journaliste à L’Obs Anne Crignon (2023). Elle nous fait revivre de sa fine plume, qui danse au rythme des expressions bretonnes, le combat des “penn sardin”, sardinières de Douarnenez qui ont mené une grève historique - et victorieuse ! - en 1924 pour obtenir une revalorisation de leur minable salaire. De quoi donner de l’espoir, du courage et du coeur à l’ouvrage pour les défis qui nous attendent en 2024.
📙 - Parce que vous l’aurez compris, le lobby gay et le lobby breton ont tous deux pris possession de mon clavier pour ce numéro, je vous conseille vivement la lecture de Callac de Bretagne, ou les obsessions de l’extrême droite française, par Erwan Chartier-Le Floch aux éditions Penn Bazh (2023). L’auteur, rédacteur en chef du journal local Le Poher, y retrace l’attaque par les extrêmes droites d’un projet d’accueil de réfugiés à Callac (dans le centre Bretagne, Côtes-d’Armor). Fascinante plongée dans cette première victoire symbolique des fascistes à l’ouest, moment de bascule que des groupuscules essaient de reproduire ailleurs. Jeudi 11 janvier, un premier homme a été condamné par le tribunal de Saint-Brieuc à six mois de prison avec sursis après avoir menacé les élus de Callac. A suivre, donc.
Ma dernière publication :
En lien direct avec le dernier livre que je vous recommande :
Mon reportage à Saint-Brieuc (22), lors de la première réunion d’un “front commun” contre l’extrême droite dans les Côtes-d’Armor. A lire sur Mediapart.
En 2024, plus de fausses promesses. Parce l’écriture de Gendercover me prend du temps et que je veux que ça reste un plaisir et non une charge mentale, je ne l’enverrai plus toutes les deux semaines, mais de manière aléatoire, selon l’actualité et le temps que j’aurai à y accorder. Je ne vous annonce donc pas de date pour la prochaine, le suspens reste entier. Si vous l’acceptez, laissez vous porter. 🌬️
Félicitations à Sandie qui a remporté Les Humilié·es dans le précédent numéro, et très belle, valeureuse et douce année à toutes et tous ! ✨
Très judicieuse analyse de la nomination de minorités au gouvernement, avec entre autres un premier ministre gay.
Le lobby Breton très présent, comme c'est bizarre 😂. Bravo !!!
Super newsletter argumentée, ça fait du bien d'entrer dans les détails.