Comment Macron fait la courte-échelle à l'extrême droite
#8 - Et pourquoi s'approprier ses idées ne la fait pas reculer (bien au contraire)
Bonjour chères lectrices et chers lecteurs de Gendercover,
C’est un poil énervée et très inquiète pour l’avenir que je reprends cette newsletter après une trop longue pause due à une période de travail très chargée.
Ces jours-ci, tout autre sujet que le contexte politique actuel me semble dérisoire, mais l’irresponsabilité, et la lourdeur des dernières déclarations d’Emmanuel Macron, me donnent envie d’actualiser un numéro que j’avais en tête depuis un moment et qui tombe malheureusement à point nommé.
Au sommaire de ce numéro #8 :
Pourquoi on ne fait pas barrage à l’extrême droite en s’appropriant ses idées
Les articles à lire et à partager à vos oncles et tantes qui votent RN
Sources pour se mobiliser avant le 30 juin
Une lecture pour vous changer les idées
Pourquoi copier le RN ne permet pas de faire barrage à l’extrême droite
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2Fa06c2917-eca9-472f-b040-888bbdcad2ac_800x500.png)
Lutter contre un “processus de décivilisation”, “éviter le grand effacement de la France” à travers un “réarmement démographique”, “pour que la France reste la France”… Et désormais : affirmer que le Nouveau Front populaire proposerait "un programme totalement immigrationniste", tout en qualifiant la possibilité de "changer de sexe en mairie" de "chose ubuesque". Ces déclarations du président de la République n’ont rien d’anecdotiques. Elles marquent, depuis plusieurs mois, un réel basculement de la politique macroniste vers l’extrême droite. Au cas où ce n’était pas suffisamment clair : Emmanuel Macron surfe sur les paniques morales (voir le n°2 de Gendercover) des droites xénophobes et radicales par opportunisme politique.
Je pourrais écrire un numéro entier en reprenant les concepts et expressions d’extrême droite qui ponctuent les prises de parole du chef de l’État et de ses fidèles ministres. Sauf que ces derniers ne se contentent plus que des mots.
En défendant, sans l’assumer, une loi immigration visant à légaliser la préférence nationale, notamment sur la question des allocations familiales, ou encore la restriction de l’accès au droit du sol, le gouvernement a repris des mesures historiques du Front national. “C'est la victoire idéologique du Rassemblement national”, s’était d’ailleurs immédiatement réjouie Marine Le Pen en décembre 2023 à propos de ce texte, avant qu’un tiers des articles ne soit finalement censurés par le Conseil constitutionnel.
Même constat quant à la promesse faite par Gérald Darmanin de supprimer le droit du sol à Mayotte. Une mesure défendue depuis longtemps par l’extrême droite pour tout le territoire national. Et j’en passe.
Emmanuel Macron chercherait-il donc intentionnellement à (extrême) droitiser son discours et sa politique pour s’attirer les voix désorientées du RN ? Ou serait-ce la stratégie du gouvernement pour lutter contre l’extrême droite ? “Je ferai tout ces cinq prochaines années pour qu'ils n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes”, promettait le président à ceux qui ont voté Le Pen en 2017. “À celles et ceux qui ont voté pour moi, non pour soutenir mes idées mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite, votre vote m’oblige”, proclamait-il encore sur “X” le 24 avril 2022. Or, à trop marcher sur les plates bandes du RN, Macron ne fait que renforcer ce parti, à en croire plusieurs études parues à ce sujet, confortées par les dernières actualités.
Des politiques anti-immigration qui nourrissent la droite radicale
“Il existe une opinion largement répandue selon laquelle un parti dominant qui s’accommoderait des positions fondamentales de la droite radicale réduirait le succès de cette dernière”, constatent les chercheurs Werner Krause, Denis Cohen et Tarik Abou-Chadi, dans une étude publiée par la Cambridge University Press en mars 2022. Avant de contredire immédiatement cette observation : “Les preuves empiriques de cette affirmation restent cependant peu concluantes”, attestent-ils.
“Au contraire, les électeurs sont en moyenne plus susceptibles de passer à la droite radicale lorsque les partis dominants adoptent des positions anti-immigration.”
Inefficace, cette stratégie serait donc également contreproductive, et selon eux “préjudiciable dans le pire des cas”. À travers une étude comparative analysant plus de 350 stratégies de partis dominants dans 108 contextes électoraux entre 1976 et 2017, les chercheurs montrent ainsi que les politiques anti-immigration “entraînent des gains significativement plus importants pour les partis de droite radicale”.
Plus récemment, une étude de Christian Czymara et Antonia May, publiée dans la revue scientifique Nations and nationalism, allait dans le même sens. “L'opinion publique sur l'immigration est en corrélation avec la manière dont les élites politiques formulent et discutent des questions liées à l’immigration”, avançaient ses auteur·ices. “Dans le même temps, les partis traditionnels peuvent avoir un effet catalyseur en s’adaptant aux questions de droite radicale et, par conséquent, accroître le soutien à ces partis”, affirmait le binôme.
Un terreau fertile pour l’extrême droite depuis des années
Un des derniers exemples en date de ce constat : les Pays-Bas, où la ministre de la Justice Dilan Yesilgöz, qui a succédé à Mark Rutte à la tête du parti libéral VVD, a été chargée de porter une politique de plus en plus dure sur l’immigration. Désignée tête de liste aux législatives du 22 novembre dernier, elle a mis l’immigration au coeur du débat électoral, tout en n’excluant pas une alliance avec l’extrême droite. Résultat : une partie des électeurs de son parti, le VVD, ont donné leur voix au Parti pour la liberté (PVV), formation d’extrême droite menée par Geert Wilders, qui a remporté 37 des 150 sièges de la deuxième chambre du Parlement néerlandais.
Loin d’être unique en Europe, un tel scénario pourrait tout à fait se produire en France, où le RN bénéficie déjà de 89 sièges à l’Assemblée, et où l’extrême droite n’a jamais autant progressé que sous Macron. Après des scores inégalés aux dernières élections européennes, le président lui offre désormais la possibilité de grossir ses rangs au Parlement, voire de diriger le gouvernement en cas de majorité RN aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet.
Plutôt que de marginaliser le RN, le discours autoritaire, anti-immigration, nataliste et désormais transphobe du président de la République, qui ne semble plus avoir aucune limite, participe ainsi à encore davantage le renforcer. Et le banaliser. “Lorsque les partis dominants s’attaquent aux questions de la droite radicale, ils courent plutôt le risque de légitimer et de normaliser son discours et de la renforcer à long terme”, met en avant l’étude de Krause, Cohen et Abou-Chadi.
Force est de constater que la stratégie d’Emmanuel Macron se retourne désormais contre lui. Mais surtout contre l’ensemble des minorités, mises en danger par la dissolution de l’Assemblée nationale et la possibilité réelle de voir le RN arriver au pouvoir dans deux semaines à peine. Après avoir labouré le terrain pendant des années, Emmanuel Macron ne se contente plus de semer les graines du RN : il prend le risque de lui offrir les clés du pays. Car, comme avait l’habitude de le dire Jean-Marie Le Pen : “Les gens préfèrent l’original à la copie”.
Des éléments de ce numéro sont extraits d’un article que j’ai consacré au sujet sur le site d’Alternatives économiques, à lire ici.
📰 À lire, regarder et à partager à vos oncles et tantes qui votent RN
Pour creuser le sujet de ce numéro, un article très éclairant du Monde, expliquant comment Mayotte est devenue le laboratoire idéologique de l’extrême droite.
Cet édito d’Edwy Plenel qui n’a jamais été autant d’actualité, revenant sur la loi immigration qui reprend le programme xénophobe de l’extrême droite. Ou comment le macronisme s’est avéré un lepénisme.
Cet article d’Élise Martin pour 20 minutes, expliquant très clairement, sources et arguments à l’appui, pourquoi il est faux de dire que LFI est un parti d’extrême gauche, et à l’inverse pourquoi le RN est bel et bien un parti d’extrême droite.
Extrême droite, extrême gauche = même combat ? Elle sentirait pas un peu le fumier cette théorie du fer à cheval ? Une parfaite vidéo récapitulative d’Urbania.
Une série du Cours de l’histoire sur France Culture qui revient en quatre épisodes sur l’histoire de l’extrême droite.
Le dossier (en accès libre) de Mediapart qui raconte dans une série d’articles les menaces que l’extrême droite fait peser sur la France : “Si le Rassemblement national accède au pouvoir”. Dont notamment cette émission en accès libre.
Un bon rappel de Libération des fausses promesses progressistes de Macron sur le changement de genre à l’état civil, qu’il n’hésite pas à trahir aujourd’hui.
Ne nous y trompons pas : nombre de candidats soutenus par le RN pour les législatives se distinguent par d’indéfendables propos publics racistes, antisémites et complotistes, comme le montre Libération.
Comment l’extrême droite prospère sur des faits divers, à Crépol comme à Callac, par Gurvan Kristanadjaja.
Pourquoi la généralisation du vote RN traduit un malaise social profond, qui dépasse largement la question de la xénophobie et du racisme, qui caractérisait le Front national : interview dans Le Monde de Luc Rouban, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique.
Non, le RN n’abrogera pas la réforme des retraites s’il parvient au pouvoir. Tout comme il ne mettra pas immédiatement en place de “bouclier du pouvoir d’achat”, ni d’augmentation du salaire des profs. La liste de ses renoncements, dressée par Checknews, ne cesse de s’allonger à mesure que la campagne progresse.
Un rappel utile de qui vote quoi à l’Assemblée :
📣 Pour se mobiliser avant le 30 juin
Suivre, soutenir et partager la campagne de l’association Toutes des femmes, “Juge pas mon genre”, pour un changement d’état civil livre et gratuit.
Lire et partager le kit de résistance à l'extrême droite en rédaction de l’Ajar, association des journalistes antiracistes et racisé•es.
Vous pouvez rejoindre le canal Telegram #JeVotele30Juin, canal d’information en vue des élections législatives.
Faire des procurations pour les votes des 30 juin et 7 juillet si vous n’êtes pas là, ou proposer d’en prendre si vous le pouvez.
Rappel des règles :
La procuration peut être établie pour un seul tour ou pour les deux tours du scrutin, à une seule personne ou à deux personnes différentes.
L'électeur chargé de voter à votre place ne peut avoir qu'une seule procuration faite en France par vote.
Le mandataire choisi doit être inscrit sur une liste électorale, mais pas forcément de la même commune que vous. Il doit en revanche pouvoir se déplacer dans votre bureau de vote.
Il faut parfois plusieurs jours pour qu’une procuration puisse être prise en compte : faites-la à l’avance.
Si vous avez déjà fait certifier votre identité numérique en mairie via la plateforme France identité, la procédure peut entièrement être effectuée en ligne. Sinon, il faudra vous rendre dans un commissariat, en gendarmerie, au consulat ou à l'ambassade pour que votre identité soit vérifiée et votre procuration validée.
Pour déposer une procuration, le mandant doit renseigner pour lui comme pour son mandataire : l'état civil (nom, prénom(s), date de naissance, la commune de vote et le numéro d'électeur·ice.
Aucun courrier n’est adressé au mandataire : il vous appartient de le/la prévenir de cette procuration et de lui communiquer l'adresse de votre bureau de vote dans lequel il devra se rendre pour voter.
Vous n’avez trouvé personne à qui donner procuration ? Vous pouvez vous inscrire sur cette plateforme du Nouveau Front populaire, le site Action populaire (LFI) ou Plan Procu (néanmoins créé par des macronistes). Mais rien ne vaut quelqu’un que vous connaissez et en qui vous avez confiance pour cela, ne tardez pas !
Mes dernières productions :
Attaques du droit à l'IVG, des personnes LGBT+ : en Europe, l'offensive antigenre, ou antidroits, est bien réelle et gagne en influence politique à mesure que progresse l'extrême droite. Je la décrypte dans une série en trois épisodes pour Mediapart :
1/3 - Un rapport porté par 10 universités européennes révèle comment l’existence d’une prétendue «idéologie du genre» est instrumentalisée à des fins populistes, pour cibler les droits des femmes, des personnes LGBTQI+ et des migrants. À lire ici.
2/3 - Selon le Forum parlementaire européen sur la population et le développement, les financements antigenres ne cessent de progresser en Europe, et ce notamment grâce à des dons défiscalisés utilisés pour faire campagne contre l'IVG. À lire ici.
3/3 - Auparavant rassemblée sous l’organisation Agenda Europe, née en même temps que La Manif pour tous, la galaxie chrétienne conservatrice continue à se fédérer en Europe pour «restaurer l’ordre naturel», voici comment. À lire ici.
Aleteia, le site de la Fondation pour l'évangélisation par les médias, proche du Vatican, cible les jeunes et entend "remettre l'autorité du christianisme au centre de la cité" : mon enquête sur cette croisade catholique en ligne pour Arrêt sur images.
📕 Une lecture pour vous changer les idées
Elle l’a en tête depuis des années, elle a lu des dizaines de livres avant de s’y mettre, elle a récolté et trié plus d’un millier de témoignages : Élodie Font vient de sortir son premier essai. Il s’appelle À nos désirs, et il s’agit du troisième livre édité par La Déferlante, désormais valeur sûre après les excellents ouvrages de Tal Madesta et de Marie Docher, dont je parle déjà ici. À nos désirs, c’est l’essai que j’aurais aimé avoir entre les mains alors que je rencontrais Élodie il y a plus d’une dizaine d’années. À Streetpress, où j’étais jeune stagiaire, la journaliste ouvertement lesbienne qu’elle était me faisait des appels du pied en me parlant de The L Word à la pause déjeuner, alors que j’avais encore de la peine à m’assumer. C’est un ouvrage sensible, intelligent, très touchant, qui vient clairement combler un manque criant. Dans un récit choral impressionnant, basé sur plus d’un millier de réponses à un questionnaire, Élodie dessine la possibilité d’un “nous”. De nos identités, nos intimités, nos sexualités, si souvent fantasmées et maltraitées, ici révélées dans leurs subtilités. À commander ici, avec d’incroyables stickers et marque-pages.
Un grand merci d’avoir lu ce huitième numéro !
Je reviendrai normalement très bientôt avec un autre numéro spécial.
Si vous avez une information ou suggestion à faire passer, n’hésitez pas à m’écrire à newsletter.gendercover@gmail.com
Vous pouvez aussi mettre un petit ❤️ à ce numéro et le partager.
Et me laisser un commentaire ici :
Prenez soin de vous en cette période terrifiante et à très vite ! 🌈
Bravo, beau travail, mes amiis vont avoir de la lecture