“Un pape réformateur” pour Le Télégramme, une “icône populaire”, “pape de pauvres” pour Le Monde, Ouest-France, La Dépêche du Midi ou L’Ardennais, “un pape bien ancré dans son époque” pour L’Est républicain, “humaniste” pour La Marseillaise, mais “décevant sur les questions sociétales” et “moins révolutionnaire qu’espéré” pour Libération…
La pluie d’hommages au pape François, dont le décès a été annoncé ce 21 avril, jour de Pâques, n’était quasiment que louanges pour un souverain engagé auprès des plus faibles. Contrairement à ses très conservateurs prédécesseurs, il s’est en effet démarqué pour sa défense des droits des migrants, en condamnant, encore tout dernièrement, les expulsions massives annoncées par le président américain Donald Trump. C’est également le premier pape à avoir reconnu la Palestine en tant qu'État. Lors de sa dernière allocution, le dimanche 20 avril, il appelait au cessez-le-feu à Gaza, tout en dénonçant un “climat d'antisémitisme croissant”. On lui doit également des prises de position écologiques, avec son encyclique sur le climat Laudato Si, et même anti-capitalistes.
N’étant pas catholique, je me suis moi-même régulièrement émue de l’ouverture affichée de certaines de ses prises de parole, suffisamment rare à la tête du Vatican pour ne pas être remarquée. Mais c’est oublier que l’Église reste une institution conservatrice et patriarcale, dont le pape François s’est aussi fait le représentant, en ciblant “l’idéologie du genre” et les personnes LGBT+.
Alors certes, le souverain pontife a prononcé en 2013 cette phrase devenue iconique : “Si une personne est gay et cherche le Seigneur, qui suis-je pour la juger ?”. Il a accueilli au Vatican des couples homosexuels. Il a dénoncé la criminalisation de l’homosexualité et s’est dit favorable à des lois protégeant les droits des couples gays, comme le Pacs. Il a aussi ouvert, en décembre 2023, la bénédiction aux couples de même sexe. Mais. Parce qu’il y a un (et même plusieurs) mais : loin d’être un “réformateur”, il n’a jamais cessé de soutenir la doctrine officielle de l’Eglise.
Le pape François s’est toujours opposé au mariage entre personnes de même sexe, qualifiés de “couples en situation irrégulière” par le Vatican. Le 18 décembre 2023, le dicastère pour la doctrine de la foi publiait ainsi un texte, signé par le souverain pontife, qui définissait le mariage comme “une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la génération d’enfants”. Le document ajoutait que “ce n'est que dans ce contexte que les relations sexuelles trouvent leur sens naturel, propre et pleinement humain. La doctrine de l'Église sur ce point reste ferme”. Tout l’objet de ce texte, à l’intention en apparence louable, était surtout d’éviter toute forme de “scandale” et “de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage”. De ne pas faire de cette bénédiction “irrégulière” une “norme” ni “un rituel”.
Si un document du dicastère pour la Doctrine de la foi, approuvé par le pape, autorisait le baptême pour les fidèles transgenres en novembre 2023, c’était, là aussi, à condition qu’il n’y ait “pas de situations dans lesquelles il existe un risque de scandale public ou de désorientation des fidèles”.
Au-delà des symboles, l’Eglise reste donc éminemment conservatrice et patriarcale. Aussi, quelques autres rappels me semblaient nécessaires face à l’amnésie collective qui nous mène désormais à qualifier le pape François de “progressiste”. Petite sélection chronologique.
En tant qu'archevêque de Buenos Aires et primat d'Argentine, le Cardinal Jorge Mario Bergoglio, de son vrai nom, s’opposait fermement à la volonté du gouvernement de légaliser le mariage homosexuel en 2010. Il qualifiait alors l'homosexualité de "démon infiltré dans les âmes" et jugeait que le mariage gay était un acte de "guerre contre dieu". Très loin des louanges d’aujourd’hui, le Huffington Post titrait alors sur un pape “chef de file des anti-mariage gay” et “conservateur”.
Alors que les Manif pour tous battaient leur plein en France en 2013, le pape François se fendait d’un livre, Seul l’amour nous sauvera, dans lequel il écrivait notamment, selon Le Figaro :
“Le mariage (formé d'un homme et d'une femme) n'est pas la même chose que l'union de deux personnes de même sexe. Distinguer n'est pas discriminer, mais respecter; différencier pour discerner consiste à évaluer correctement, pas à discriminer. (…) Nous ne pouvons pas enseigner aux générations futures qu'il est équivalent de se préparer à développer un projet familial fondé sur un engagement de relation stable entre un homme et une femme, que de vivre avec une personne du même sexe (…).”
Rappelez-vous, c’était la même année que le fameux “Qui suis-je pour juger ?”.
Dans Pape François. Cette économie tue, livre sur l’enseignement social de Bergoglio, celui-ci comparait en 2015 les personnes trans à des “armes nucléaires”.
Toujours fervent opposant à la supposée “idéologie du genre”, le pape François comparait en 2016 l’enseignement du genre aux enfants à une “colonisation idéologique”. Dans ce même échange avec des journalistes, il affirmait : “S’il vous plaît, ne dites pas : ‘Le pape sanctifie les trans !’, S’il vous plaît, hein ! Parce que je vois déjà les titres des journaux… Non, non. Il y a quelque doute sur ce que j’ai dit ? Je veux être clair. C’est un problème de morale. C’est un problème. C’est un problème humain.”
En octobre 2018, dans sa traditionnelle homélie place, le pape François comparait l'interruption volontaire de grossesse au recours à "un tueur à gages". Quelques mois plus tôt, il avait même comparé l'avortement pratiqué en cas de handicap du foetus à un eugénisme "en gants blancs" comme celui pratiqué par les "nazis".
En 2018 toujours, le pape avait fait scandale en suggérant aux enfants homosexuels de recourir à la “psychiatrie”. Propos qu’il réitérera en 2024, en conseillant aux homosexuels voulant devenir prêtres d’aller voir un “psychologue”, cette fois.
En 2019, le Vatican publiait le document “Il les créa homme et femme” s’attaquant à “l”idéologie du genre” cherchant, selon le pape François, à “s’imposer comme une pensée unique”. Un document qui sert de base idéologique aux anti-Evars (éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle) aujourd’hui.
En mai et en juin 2024, le pape François aurait utilisé à plusieurs reprises le terme “frociaggine”, dérivé de “frocio”, une insulte signifiant “p*d*” en romain. Lors d'une discussion avec des évêques sur l'admission des hommes homosexuels dans les séminaires, il aurait ainsi affirmé que ces derniers comprenaient déjà trop de “frociaggine”. Il avait ajouté par la suite que des hommes ayant des “tendances homosexuelles” ne devraient pas être admis à la formation sacerdotale.
Cette liste est bien sûr non exhaustive, et la pensée du pape sans doute plus nuancée et complexe qu’elle n’y paraît - le souverain pontife ayant par ailleurs toujours prôné l’accueil des enfants homosexuels.
Mais de là à le qualifier de progressiste, ou même carrément de “woke” ? C’est vite oublier que le pape François était surtout le fervent représentant d’une institution ayant elle-même inventé de toutes pièces la supposée “idéologie du genre”, devenue aujourd’hui un socle rhétorique servant de système de pensée à toutes les forces conservatrices anti-genre, en France comme partout dans le monde.
Un article instructif qui remet l’église au centre du village !
Bravo Rozenn ! Un bel éclairage sur les différent propos, positions et écrits qu'a pu avoir le pape François. Newsletter enrichie des liens qui conduisent à Gendercover N° 1, les articles du Huff et du Figaro, le document du Vatican ...
Bien écrit ! (et je n'ai pas trouvé de fautes). Je t'embrasse