A propos d'"homophobie et autres" et de "tendances mixtes"
#13 - De l'importance de nommer les oppressions et identités en terrain patriarcal.
“Homophobie et autres.” C’est la formulation qui a été choisie dans le nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), paru le 6 février, en lieu et place de la “transphobie”1. Ce terme était pourtant bien présent dans le programme voté à l’unanimité par le le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), comme le rappelle Libération. Que s’est-il passé ?
Rien de bien surprenant, et une histoire qui se répète. Bien que le programme comporte quelques avancées majeures, comme la mention noir sur blanc de la notion d’identité de genre, menacée en premier lieu d’être supprimée, le ministère de l’Éducation a en partie cédé aux sirènes réactionnaires.
Autres groupuscules, membres similaires, continuité parfaite : 14 ans après la panique morale autour des manuels de SVT, 11 ans après le fiasco des “ABCD de l’égalité”, le lobbying anti-genre n’aura jamais autant pesé sur les équipes enseignantes.
Désormais sous la houlette de l’association d’extrême droite issue du parti d’Éric Zemmour Parents Vigilants, de Mamans louves, Parents en colère “et autres” organisations prétendant défendre les enfants, ces associations conservatrices s’appuient sur des réseaux qui criaient déjà à l’effondrement de la civilisation il y a 10 ans et qui sont toujours très actuels. Parmi eux, le bien-nommé syndicat de la famille (ex-Manif pour tous) et SOS-Education, qui bénéficient du chaperonnage bienveillant de plusieurs politiques, comme le très éphémère ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l'Enseignement professionnel, au sein du ministère de l'Éducation nationale, Alexandre Portier.
Mais à l’heure où les personnes trans subissent une restriction sans précédent de leurs droits aux États-Unis, où les extrêmes droites progressent partout en Europe, où des associations anti-trans comme l’Observatoire de la petite sirène et Ypomoni tentent d’influencer les politiques en France - et y arrivent, certaines absences sont plus visibles que d’autres. Plus coupables. Plus criminelles, aussi.
Dans son rapport annuel de 2024, SOS Homophobie alertait sur une “vague de transphobie” et une “libération de la parole transphobe”. Les cas rapportés à l’association émanaient principalement de jeunes victimes - 13% de moins de 18 ans et plus d’un quart entre 18 et 34 ans. Un quart se manifestaient à travers de la haine en ligne, tandis qu’une personne sur 10 était victime de transphobie dans son milieu familial et 5% dans le milieu scolaire.
Le risque de tentative de suicide est par ailleurs huit fois plus élevé pour les personnes trans que pour le reste de la population, et particulièrement chez les mineur·es.
Pourtant : “La rédaction ‘homophobie et autres’ a été privilégiée, permettant ainsi aux professeurs et aux personnels éducatifs d’aborder différentes situations de discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou le genre”, répond le ministère de l’Éducation. Or si “mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde”, ne pas les nommer du tout c’est les tuer à petit feu.
Cette invisibilisation m’en a rappelé une autre, que je raconte brièvement dans mon livre Les Humilié·es.
En 2018, j’étais nommée rédactrice en chef du site internet d’un grand média gay, qu’on me présentait comme “LGBT”. Comme d’autres consoeurs avant moi, j’ai naïvement cru à cette volonté d’ouverture. J’avais pour mission de donner toute leur place aux lesbiennes et aux personnes trans. Ce que j’ai tenté de faire au mieux, avant que l’on me reproche que ces dernières étaient devenues trop visibles. J’ai alors demandé un éclaircissement sur la ligne éditoriale que l’on m’avait vendue à mon arrivée.
Réponse sans appel : “C’est un média masculin et gay à tendance mixte”.
Si ce n’était pas assez clair, je devais désormais appliquer des quotas dans les publications, en consacrant 70% des contenus aux hommes homosexuels.
“Tendance mixte.”
“Homophobie et autres.”
Tout autant de manières d’invisibiliser des minorités qui dérangent une autre minorité. Pas assez bankable ou trop à la marge de l’hétéropatriarcat binaire et sans âme.
En fière “tendance mixte” subissant par ailleurs un management totalement toxique et maltraitant qui a largement motivé mon départ, “On se lève et on se casse” a été ma première réaction.
Les élèves trans n’ont pas cette option.
📕 - Le Lobby transphobe de Maud Royer (Textuel, 2024)
Une seule recommandation dans le prolongement de ce numéro et de la persécution sans précédent des personnes trans aux États-Unis suite à l’élection de Donald Trump : Le Lobby transphobe de Maud Royer. Un condensé limpide, argumenté, sourcé et contextualisé de l’offensive transphobe que nous vivons en France comme de nombreux autres pays gagnés par l’extrême droite. Une fine analyse des rhétoriques à l’œuvre, également pleine d’espoir et d’outils pour les contrer.
Hyper intéressant et pertinent, comme toujours !